La dose… oui, mais laquelle ?

Le choix de la dose de traitement à administrer est un vieux démon qui hante les médecins et les pharmaciens depuis des siècles. Paracelse, médecin et alchimiste helvète,  écrivait au XVe siècle : « Toutes les choses sont poison, et rien n’est sans poison, seule la dose fait qu’une chose n’est pas un poison ».

Il est également de notoriété publique que nous ne sommes pas tous égaux devant le médicament : certains tolèreront très bien un traitement lambda, qui rendra d’autres plus malades qu’ils ne l’étaient avant de le prendre.

 

En Oncologie, les doses de chimiothérapie sont habituellement calculées en milligrammes par mètre carré de surface corporelle (mg/m2). Il en résulte une variabilité de l’exposition plasmatique pouvant atteindre 70% d’un individu à un autre [1].

Cette fâcheuse habitude d’utiliser une dose exprimée en mg/m2 provient d’une publication de 1958 (Pinkel Cancer Res 1958) décrivant l’impact de la surface corporelle sur les concentrations de l’actinomycine D chez… la souris, l’enfant et l’adulte (sic). En réalité, la surface corporelle a peu d’impact sur la clairance des médicaments anticancéreux : elle n’impacte de façon nette  que l’exposition à une demi-douzaine de drogues (l’actinomycine D, le busulfan per os, la gemcitabine, le paclitaxel et le temozolomide), comme souligné dans l’excellent article intitulé « The good, the bad, and the body-surface area » (« le Bon, la Brute, et la surface corporelle ») [1]. Les grandes écoles d’onco-pharmacologie néerlandaises ont même proposé l’utilisation de doses fixes de cytotoxiques plutôt que d’introduire une correction basée sur la surface corporelle, afin d’éviter d’augmenter la variabilité d’exposition inter-individuelle [2].

Au sein des chimiothérapies « conventionnelles », seul le carboplatine est prescrit assez « intelligemment », c’est-à-dire en définissant a priori l’exposition plasmatique (AUC) que l’on souhaite obtenir. La dose administrée est calculée en fonction de l’AUC souhaitée, selon la très complexe formule : dose = clairance x AUC, où la clairance peut être calculée selon des formules dédiées [3,4]. Ainsi prescrit, plutôt qu’en mg/m2, le carboplatine est moins toxique, et probablement plus efficace [5].

Les certitudes que nous pouvons avoir sur nos prescriptions sont donc à relativiser (« Je n’ai que l’idée que j’ai de moi-même pour me soutenir sur les mers du néant« , écrivait Henry de Montherlant).

 

Parmi les médicaments plus récents, l’immense majorité des inhibiteurs multi-kinases (IMK, aussi appelés ITK, MKI, ou TKI) sont approuvés sur des schémas posologiques à dose fixe. Il s’agit là aussi d’une hérésie pharmacologique, puisque leurs effets anti-tumoraux et toxiques sont assez clairement liés à l’exposition plasmatique [6,7]. Ils sont par ailleurs caractérisés par une très importante variabilité d’exposition inter-individuelle, l’AUC pour une dose donnée pouvant varier d’un facteur 10 d’un patient à un autre [8,9].

Selon les dosages proposés, les ajustements posologiques sont plus ou moins aisés, variant d’ajustements par paliers de 25% à 100%, comme illustré dans le FINDRUGS de Netcancer.net.

Encore une fois, seul un médicament de la classe des MKI (l’axitinib) a été développé et approuvé avec un schéma posologique « intelligent », permettant d’ajuster la dose (pas seulement à la baisse, mais aussi à la hausse) en fonction des effets indésirables observés (cf. FINDRUGS).

Ces considérations amènent aujourd’hui à se poser la question du suivi thérapeutique des concentrations plasmatiques des MKI [8, 10].

 

Enfin, viennent les anticorps monoclonaux thérapeutiques, et notamment les inhibiteurs de checkpoints immunitaires. Encore une fois, l’exposition plasmatique à ces médicaments n’est pas influencée par la surface corporelle, et l’est souvent assez peu par le poids du patient [11,12]. Elle est en revanche assez bien corrélée au volume plasmatique, donc au sexe. Une dose calculée selon le poids peut donc induire des variations d’exposition plasmatique assez conséquentes [11].

Il est donc considéré souhaitable, compte-tenu de la pharmacocinétique et de sa variabilité, d’utiliser une dose fixe [12], même chez les patients ayant des poids extrêmes. Ceci est par ailleurs également valable pour des anticorps monoclonaux thérapeutiques utilisés dans des indications non oncologiques [11].

Ainsi, les schémas posologiques des inhibiteurs de checkpoints immunitaires ciblant PD-1 ou PD-L1 incluent d’emblée une dose fixe, déterminée dès la phase 1 pour atezolizumab, ou en post-AMM et plus récemment pour nivolumab (hors association à l’ipilimumab dans le mélanome) et pembrolizumab.

L’existence de relations PK/PD pour les inhibiteurs de checkpoints immunitaires est encore controversée. Toutefois, la toxicité financière de ces traitements appelle une réflexion supplémentaire : une fois que l’on a accepté la notion de dose fixe, cette dernière reste à déterminer…

Ainsi, Hendrikx et coll., utilisant des doses fixes, rapportent une économie de près de 3 millions d’euros pour leur institution, sur une période d’un peu plus de deux ans [12].

Outre les passionnantes actualités en Oncologie, cette newsletter vous propose d’aller plus loin sur la notion de choix de la dose, et ses implications en termes d’organisation des soins en Immuno-Oncologie.

 

Bonne lecture…

Dr. Olivier Mir

 

 

Références :

  1. Felici A, Verweij J, Sparreboom A. Dosing strategies for anticancer drugs: the good, the bad and body-surface area. Eur J Cancer 2002; 38: 1677-84.
  2. Mathijssen RH, de Jong FA, Loos WJ, van der Bol JM, Verweij J, Sparreboom A. Flat-fixed dosing versus body surface area based dosing of anticancer drugs in adults: does it make a difference? Oncologist 2007; 12: 913-23.
  3. Chatelut E, Canal P, Brunner V, Chevreau C, Pujol A, Boneu A, Roché H, Houin G, Bugat R. Prediction of carboplatin clearance from standard morphological and biological patient characteristics. J Natl Cancer Inst 1995; 87: 573-80.
  4. Calvert AH, Newell DR, Gumbrell LA, O’Reilly S, Burnell M, Boxall FE, Siddik ZH, Judson IR, Gore ME, Wiltshaw E. Carboplatin dosage: prospective evaluation of a simple formula based on renal function. J Clin Oncol 1989; 7: 1748-56.
  5. Jodrell DI, Egorin MJ, Canetta RM, Langenberg P, Goldbloom EP, Burroughs JN,Goodlow JL, Tan S, Wiltshaw E. Relationships between carboplatin exposure and tumor response and toxicity in patients with ovarian cancer. J Clin Oncol 1992; 10: 520-8.
  6. Houk BE, Bello CL, Poland B, Rosen LS, Demetri GD, Motzer RJ. Relationship between exposure to sunitinib and efficacy and tolerability endpoints in patients with cancer: results of a pharmacokinetic/pharmacodynamic meta-analysis. Cancer Chemother Pharmacol 2010; 66: 357-71.
  7. Mir O, Dumont S, Armand JP. Pharmacokinetic and pharmacodynamic end points with anti-VEGFR: the more it hurts, the more it works? Ann Oncol 2015; 26: 1277-8.
  8. Widmer N, Bardin C, Chatelut E, Paci A, Beijnen J, Levêque D, Veal G, Astier A. Review of therapeutic drug monitoring of anticancer drugs part two—targeted therapies. Eur J Cancer 2014; 50: 2020-36.
  9. Hornecker M, Blanchet B, Billemont B, Sassi H, Ropert S, Taieb F, Mir O, Abbas H, Harcouet L, Coriat R, Dauphin A, Goldwasser F, Tod M. Saturable absorption of sorafenib in patients with solid tumors: a population model. Invest New Drugs 2012; 30: 1991-2000.
  10. Verheijen RB, Bins S, Mathijssen RH, Lolkema MP, van Doorn L, Schellens JH, Beijnen JH, Langenberg MH, Huitema AD, Steeghs N; Dutch Pharmacology Oncology Group. Individualized Pazopanib Dosing: A Prospective Feasibility Study in Cancer Patients. Clin Cancer Res 2016; 22: 5738-5746.
  11. Wang DD, Zhang S, Zhao H, Men AY, Parivar K. Fixed dosing versus body size-based dosing of monoclonal antibodies in adult clinical trials. J Clin Pharmacol 2009; 49: 1012-24.
  12. Hendrikx JJMA, Haanen JBAG, Voest EE, Schellens JHM, Huitema ADR, Beijnen JH. Fixed Dosing of Monoclonal Antibodies in Oncology. Oncologist 2017; 22: 1212-1221.
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