De très belles présentations nous attendaient sous le soleil madrilène au congrès de l’EHA cette année, où des domaines variés de l’hématologie étaient à l’honneur. Parmi l’ensemble des travaux présentés, tous passionnants, nous retiendrons : une avancée prometteuse dans le traitement de la leucémie aiguë myéloïde, un espoir d’amélioration du célèbre R-CHOP dans les lymphomes agressifs, une nouvelle façon d’envisager la transfusion, et la validation d’un score prédictif de thrombose dans la thrombocytémie essentielle.
Par ailleurs, deux sujets ont suscité et suscitent encore de nombreux travaux et de nombreuses discussions, même si leur application semble pour l’instant limitée en pratique courante.
Tout d’abord, les CAR-T cells, ces cellules T génétiquement modifiées pour être spécifiquement dirigées contre les cellules tumorales, continuent à attirer l’excitation et l’espoir. Cependant, cette technique coûteuse et délicate reste jusqu’ici difficilement applicable en dehors de centres spécialisés. Les premiers résultats de l’essai de phase II JULIET, utilisant des CAR T-cells dirigées contre l’antigène CD19 dans les lymphomes B diffus à grandes cellules (LBDGC) en rechute ou réfractaires, ont été présentés à l’EHA : en dehors des données d’efficacité, cette étude a démontré pour la première fois la faisabilité d’une étude internationale (27 centres sur 4 continents) avec production centralisée de ces CAR-T cells de seconde génération développées par Novartis (Abstract LB2604, S.J. Schuster et al., communication orale par G. Salles).
Les CAR-T cells utilisées, appelées CTL019, ont un TCR (T-cell receptor) spécifiquement dirigé contre le CD19 exprimé par les cellules B tumorales. Des lymphocytes T autologues prélevés au patient étaient transduits de façon centralisée avec un vecteur lentiviral codant pour le récepteur TCR chimérique, expandus, cryopréservés, puis renvoyés dans le centre du patient pour être réinjectés. Les patients recevaient une chimiothérapie d’attente pendant la production des CTL019, ainsi qu’un conditionnement lymphodéplétant par Fludarabine et Bendamustine avant la réinjection pour favoriser l’expansion des CAR-T cells in vivo.
Les patients inclus avaient un LBDGC en rechute ou réfractaire après au moins 2 lignes de traitement, avaient déjà bénéficié d’une autogreffe ou étaient inéligibles à l’autogreffe, et n’avaient pas reçu d’allogreffe. Le pronostic de ces patients est habituellement très péjoratif, avec une survie médiane inférieure à 6 mois, un taux de réponse globale inférieur à 20% avec moins de 10% de réponses complètes après chimiothérapie conventionnelle. Dans l’analyse intérimaire de cet essai portant sur les 51 premiers patients traités, le meilleur taux de réponse globale obtenu était de 59% dont 43% de réponses complètes. La durée médiane de réponse n’était pas encore atteinte et le taux estimé de survie sans rechute était de 79% à 6 mois pour les patients répondeurs – des résultats très prometteurs.
En dehors de la faisabilité pratique, la toxicité de ce traitement reste préoccupante. En dehors des infections et cytopénies prolongées qui concernent un quart des patients, plus de la moitié des patients a développé un syndrome de relargage cytokinique et 20% ont présenté des complications neurologiques. Même si l’on peut traiter ces évènements par le Tocilizumab et/ou les corticoïdes, et qu’aucun décès n’a été attribué aux CTL019, un transfert en réanimation a été nécessaire pour 24% des patients et une intubation pour 8% des patients.
Un traitement qui laisse donc entrevoir un vrai espoir pour les patients (dans les lymphomes agressifs ici, mais également dans d’autres hémopathies avec d’autres cibles que le CD19), et avec une toxicité persistante mais moindre que sur les premiers essais rapportés – reste la question de l’accessibilité des CAR-T cells, pour l’instant malgré tout très limitée. Notons par ailleurs que cette même technologie CTL019 a d’ores et déjà reçu un avis favorable du comité consultatif de la FDA pour une autorisation de mise sur le marché dans une forme de leucémie aiguë lymphoblastique.
Un autre sujet très en vogue est le microbiome, en hématologie comme dans d’autres domaines de la santé. A l’EHA, une brillante session éducationnelle présentée par Marcel van den Brink était consacrée au rôle du microbiome chez les patients allogreffés. Le microbiote intestinal est en effet largement perturbé dans l’allogreffe de cellules souches hématopoïétiques, en raison du conditionnement, des antibiotiques, du contexte immunologique… et ces perturbations ont un impact péjoratif sur la survie des patients allogreffés notamment via le risque de bactériémie et de maladie du greffon contre l’hôte (GVH). Si cette question suscite beaucoup d’intérêt actuellement, elle n’est cependant pas nouvelle puisque l’impact du microbiote intestinal sur le développement de la GVH a été décrit pour la première fois par van Bekkum et al. dans les années 1970 1.
Plus tard, il a été démontré que la perte de la diversité du microbiote après allogreffe était associée à une moins bonne survie 2 avec une augmentation de la mortalité par GVH 3. Cette perte de diversité peut être liée à l’administration d’antibiotiques ainsi qu’aux modifications du régime alimentaire – notamment en cas de nutrition parentérale. L’utilisation d’antibiothérapies à large spectre, dans un contexte de neutropénie fébrile ou de décontamination digestive, augmente la mortalité liée à l’allogreffe dans plusieurs études 4,5. Ainsi, les antibiotiques à large spectre couvrant les bactéries anaérobies (tels que tazobactam, imipénem, meropenem…) semblent aggraver les phénomènes de GVH par rapport à des antibiotiques couvrant moins bien les bactéries anaérobies (tels que céfépime, aztréonam, ceftazidime…). Il semble en effet qu’une population de bactéries anaérobies commensales ait une action protectrice contre la GVH via la protection de l’épithélium intestinal et l’activation des lymphocytes T régulateurs 6. Les espèces protectrices sont celles du genre Clostridia, Bacteroïdes, et en particulier Blautia 7.
Parmi les stratégies en cours d’évaluation pour restaurer la diversité du microbiote intestinal, on note l’utilisation d’antibiothérapie à spectre plus étroit, l’utilisation de prébiotiques et de probiotiques, ainsi que la transplantation de microbiote fécal. Cette technique a prouvé son efficacité dans le traitement des infections à Clostridium difficile, et une étude pilote sur 4 patients porteurs d’une GVH intestinale corticodépendante retrouvait de façon surprenante une rémission complète chez 3 patients et une réponse partielle chez 1 patient 8.
Il s’agit donc d’un domaine d’intérêt en pleine expansion, dont on n’a sûrement pas fini d’entendre parler, et qui a entre autres le mérite d’ouvrir une réflexion sur l’impact de nos prescriptions d’antibiotiques.
Le vénétoclax : une avancée dans la leucémie aiguë myéloïde (mais pas seulement)
Wei A. et al., abstract S473
Pratz K. et al., abstract S472
Chez les patients inéligibles à la chimiothérapie intensive, les options de traitement de la leucémie aiguë myéloïde (LAM) sont limitées et le pronostic reste très mauvais. Chez ces patients, le choix se fait principalement entre l’aracytine faible dose (survie médiane d’environ 6 mois) et les agents hypométhylants (survie médiane d’environ 12 mois) 9.
Le Vénétoclax est un inhibiteur oral de BCL-2, BCL-2 étant une protéine anti-apoptotique surexprimée dans de nombreuses cellules tumorales, et jouant un rôle dans leur survie et leur chimiorésistance. Le Vénétoclax a déjà prouvé son efficacité en monothérapie dans la LAM en rechute ou réfractaire10. Deux études ont été présentées à l’EHA, évaluant l’association du Vénétoclax avec l’aracytine faible dose (Wei et al) ou avec un agent déméthylant (Pratz et al).
Dans la première étude, 61 patients ont été traités par Vénétoclax 600 mg/jour et aracytine faible dose sous-cutanée. L’âge médian était de 74 ans, avec 44% de LAM secondaires et 31% de caryotypes défavorables. Le taux de réponse globale était de 61% dont 21% de réponses complètes.
Dans la deuxième étude, 100 patients ont été traités par Vénétoclax 400 ou 800 mg/jour et un agent déméthylant (azacitidine ou décitabine). La médiane d’âge était de 73,9 ans avec 53% de caryotypes défavorables. Le taux de réponse globale était de 68,7%. Après un suivi médian de 9 mois, la survie médiane n’était pas atteinte et la survie globale était de 70% à 12 mois.
L’effet secondaire le plus fréquent était la neutropénie fébrile (30-40%), sans toxicité inattendue par ailleurs. Grâce à une prophylaxie adaptée, un seul patient a présenté un syndrome de lyse biologique. A noter 15% de mortalité à J60 dans la première étude et 12% à J30 dans la deuxième, chez des patients très fragiles.
Ces données de réponses sont étonnantes notamment si on considère le taux de LAM secondaires et de caryotypes défavorables, avec un impact probable sur la survie globale – qui reste à confirmer avec un suivi plus long et des études de phase III qui sont en cours. Ces associations représentent un réel progrès pour ces patients, chez qui une telle avancée était attendue depuis longtemps.
Plus largement, le vénétoclax n’a pas fini de nous étonner, avec cette année pas moins de 23 abstracts sur cette molécule utilisée dans la leucémie aiguë lymphoïde, la leucémie lymphoïde chronique, le myélome, les lymphomes hodgkiniens et non hodgkiniens, mais également la GVH. A noter que la molécule dispose déjà d’une AMM en France dans la leucémie lymphoïde chronique.
Polatuzumab védotin : nouveau compagnon du R-CHOP ?
Tilly H. et al., abstract S106
Dans le lymphome B diffus à grandes cellules (LBDGC), le traitement de première ligne est d’une importance particulière car les patients qui obtiennent une rémission complète après la première ligne sont ceux qui ont le plus de chance d’être guéris. Après un traitement de première ligne standard tel que le R-CHOP, environ 40% des patients vont rechuter. Il reste donc une marge d’amélioration nette que le polatuzumab védotin va essayer de combler.
Le polatuzumab védotin (Pola) est un anticorps monoclonal anti-CD79b couplé à une toxine, la MMAE (monométhyle auristatine E). Le CD79b est un antigène largement exprimé dans le LBDGC. En monothérapie, le Pola en combinaison avec un anticorps anti-CD20 a déjà prouvé son efficacité dans les LBDGC en rechute ou réfractaires 11. En association au R-CHOP, sans vincristine en raison du risque de neuropathie (Pola-R-CHP), la dose optimale du Pola a été fixée à 1,8 mg/kg 12.
Les résultats de l’étude de phase II du Pola-R-CHP en première ligne des LBDGC étaient rapportés ici. 45 patients ont été inclus. Il s’agissait d’une population à haut risque avec un âge médian de 69 ans (93% de patients > 60 ans), 82% de stades Ann Arbor III/IV, 78% d’IPI ≥ 3 et 35% de formes ABC.
Le taux de réponse globale au TEP scanner de fin de traitement était de 91%, dont 78% de réponses complètes et 13% de réponses partielles. A noter un taux de réponse complète de 91% dans les formes ABC et de 86% dans les formes GCB. Après un suivi médian de 14,9 mois, 1 patient est décédé et 3 patients ont progressé sous traitement.
Sur le plan de la toxicité, 40% des patients ont présenté une neuropathie périphérique, de grade 1 dans 2/3 des cas. On observait 27% de neutropénies de grade 3/4 et 11% de neutropénies fébriles, avec un profil de tolérance acceptable par ailleurs.
Le Pola-R-CHP paraît donc très intéressant, avec des taux de réponses impressionnants compte-tenu du profil à haut risque des patients. Les taux de réponse similaires dans les formes ABC et GCB suggèrent que cette combinaison pourrait gommer certains facteurs de mauvais pronostic. On attend avec impatience l’ouverture d’un essai de phase III randomisé comparant R-CHOP et Pola-R-CHP !
A noter par ailleurs qu’un essai de phase II randomisant Pola-R-Bendamustine versus R-Bendamustine dans les LBDGC ou les lymphomes folliculaires en rechute ou réfractaires est en cours.
Le futur de la transfusion ?
Claessen M-J et al., abstract S132
La transfusion de globules rouges issus de donneurs volontaires est la forme la plus ancienne de thérapie cellulaire. Cependant, cette technique dépend de la disponibilité des donneurs de sang, et est associée à un risque de transmission de maladies notamment infectieuses mais surtout à un risque d’allo-immunisation.
Le but de ce travail était d’établir une nouvelle stratégie de transfusion, grâce pour l’instant à l’expansion de globules rouges autologues à partir du sang de donneurs volontaires, et à terme grâce à l’établissement d’une lignée érythroïde immortalisée de type iPSC (cellules souches pluripotentes induites) et de phénotype « donneur universel ».
Dans la partie pré-clinique, les auteurs présentent leur méthode permettant d’obtenir une production quasi-illimitée de globules rouges en culture. A partir d’un prélèvement de sang de donneur sain, les cellules mononucléées sont mises en culture dans un milieu permettant la différenciation en érythroblastes puis leur expansion. Cette méthode permet une expansion des érythroblastes de l’ordre de 1.108 après 25-26 jours de culture. Une phase d’énucléation efficace des érythroblastes est ensuite observée pour obtenir des réticulocytes.
Une étude de phase 1 appelée SCEVAT (Survival of Cultured Erythrocytes in healthy Volunteers After Transfusion) permettra d’évaluer la faisabilité de la transfusion de ces cellules cultivées in vitro. Les étapes prévues sont les suivantes : prélèvement de sang d’un donneur sain, expansion des érythroblastes in vitro jusqu’au stade de réticulocytes, marquage de ces cellules avant leur transfusion au donneur initial, et analyse de la toxicité potentielle ainsi que de la survie des cellules marquées en circulation. Les auteurs espèrent une survie prolongée de ces cellules in vivo puisqu’ici les cellules transfusées seraient de jeunes réticulocytes, contre une majorité d’érythrocytes matures lors d’une transfusion traditionnelle.
Parallèlement, les auteurs utilisent un vecteur contenant les gènes OCT4, SOX2, KLF4, cMYC, LIN28 pour reprogrammer les érythroblastes obtenus en culture en cellules souches pluripotentes induites (iPSC). Les iPSC obtenues sont ensuite re-différenciées en érythroblastes. Après une maturation supplémentaire, les érythroblastes expriment principalement des chaînes gamma de globine (fœtales) et une petite quantité de chaînes bêta (adulte), comme retrouvé dans d’autres études.
Ces travaux encore préliminaires nous montrent non seulement l’intérêt croissant des hématologues pour la transfusion, discipline qui suscitait auparavant relativement peu d’enthousiasme dans les congrès d’hématologie, mais également un exemple d’approche innovante qui modifiera peut-être nos pratiques futures.
Thrombose et thrombocytémie essentielle
Gugliotta L et al., abstract P358
Dans la thrombocytémie essentielle, le risque de thromboses artérielles ou veineuses est de 7,5% par an, avec une incidence cumulée de 64,7% à 10 ans. Ce risque de thrombose impacte l’espérance de vie des patients, et l’indication de traitement dans la thrombocytémie essentielle est principalement basée sur les scores de risque de thrombose.
Le score utilisé actuellement est le Revised International Prognostic Score for Thrombosis in ET (R-IPSET-Th), qui est basé sur l’âge, la présence ou non d’une mutation V617F de JAK2, et la présence ou non d’un antécédent de thrombose 13, et qui permet de guider le traitement 14 (Tableau). Le traitement cytoréducteur recommandé en première ligne est l’hydroxyurée. L’aspirine est à éviter en cas de thrombocytose extrême ou de syndrome de Willebrand acquis, en raison du risque hémorragique.
Très faible risque | Faible risque | Risque intermédiaire | Haut risque | |
Age ≥ 60 ans | Non | Non | Oui | Age ≥ 60 ET mutation JAK2 V617F
OU Antécédent de thrombose |
Mutation JAK2 V617F | Non | Oui | Non | |
Antécédent de thrombose | Non | Non | Non | |
Recommandations de traitement | Aucun traitement spécifique | Aspirine à dose antiagrégante | Aspirine
+/- Traitement cytoréducteur |
Aspirine + Traitement cytoréducteur |
Les critères diagnostiques des syndromes myéloprolifératifs ayant été récemment modifiés 15, cette étude avait pour but de valider le caractère prédictif du score R-IPSET-Th sur une cohorte de 734 patients reclassés selon les critères OMS 2016, avec un suivi médian de 11 ans.
26, 27, 11 et 36% des patients étaient classés dans les groupes très faible risque, faible risque, risque intermédiaire et haut risque, respectivement. Le taux de premier évènement thrombotique augmentait selon le score R-IPSET-Th avec un taux à 8, 10, 15 et 21% dans les groupes très faible risque, faible risque, risque intermédiaire et haut risque, respectivement (p < 0.001). La survie sans thrombose diminuait de façon parallèle, avec une survie sans thrombose à 20 ans de 85, 87, 78 et 54% du groupe très faible risque au groupe haut risque (p < 0.001).
Dans cette étude, on observait une tendance au sur-traitement avec une prescription d’antiagrégant plaquettaire (principalement aspirine) dans 88, 94, 92 et 91% des cas et un traitement cytoréducteur (principalement hydroxyurée) dans 91, 62, 95 et 95% des cas dans les groupes de très faible risque, faible risque, risque intermédiaire et haut risque, respectivement.
Cette étude permet de valider le score R-IPSET-Th à l’ère des critères diagnostiques OMS 2016, ce score étant un outil utile pour l’évaluation du pronostic des patients mais également pour la décision thérapeutique dans la thrombocytémie essentielle.
Références
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