Le microbiote intestinal : un nouvel acteur en oncologie

Aujourd’hui, quels que soient leur spécialité, la grande majorité des congrès scientifiques proposent des communications autour du microbiote, cette flore intestinale présente dans notre tube digestif. Le domaine de l’oncologie ne fait pas exception et, encore récemment au congrès 2018 de l’American Association for Cancer Reseach (AACR), plusieurs sessions y ont été consacrées. L’engouement de la communauté scientifique autour de cette thématique est bien réel et, pour s’en convaincre, il suffit de regarder le nombre d’articles comprenant les mots clés (microbiome + cancer) référencés dans le moteur de recherche pubmed (figure 1). Aux vues de ce graphique on est en droit de se demander pourquoi cette thématique suscite un tel engouement ?

Figure 1 : Nombre d’articles comprenant les termes (microbiome + cancer) référencés sur pubmed par an

 

Il est maintenant admis que nos muqueuses sont colonisées dès la naissance par des centaines de millions de microorganismes (1). Ces microorganismes, connus sous le nom de microbiote, regroupent principalement des bactéries, des virus, des levures et des champignons. Il aura fallu attendre le milieu des années 2000 et l’avènement des techniques de séquençage pour réellement prendre la mesure de la complexité et de la diversité de nos microbiotes (2). A titre d’exemple, l’intestin d’un individu adulte en bonne santé contient environ 500 espèces bactériennes différentes pour un poids total d’environ un kilogramme. Ces microorganismes ne sont pas inertes et ils influencent de manière profonde la physiologie de leur hôte et, en particulier, la maturation du système immunitaire (1). Aujourd’hui, de nombreuses pathologies ont été associées à un déséquilibre du microbiote intestinal. Ainsi, les patients atteints de maladies métaboliques (diabète, obésité, stéatose hépatique), de maladies inflammatoires intestinales, de certaines maladies auto-immunes ou de divers cancers ont un microbiote intestinal significativement différent des individus sains (3). De manière générale, ces différences sont de deux natures. D’une part, le microbiote des malades est généralement moins diversifié que celui des sujets sains. D’autre part, les espèces qui y sont présentes sont parfois différentes des espèces retrouvées chez les individus sains. Ces données sont à la base du terme de « dysbiose ». Celle-ci se définit comme un déséquilibre entre le microbiote et son hôte, faisant suite à des modifications de la composition de la flore bactérienne et associée à un certain nombre de maladies (4). Si la communauté scientifique s’accorde sur le fait que plusieurs pathologies sont associées à une dysbiose, la caractérisation précise de ces modifications est encore débattue.

 

En oncologie, des données précliniques et cliniques de plus en plus nombreuses ont mis en évidence un lien entre le développement des cancers, l’immunité anticancéreuse, l’efficacité des thérapies anti-tumorales et le fameux microbiote intestinal (5).

Plusieurs travaux de recherche ont montré que la présence de certaines bactéries dans le tube digestif pouvait être corrélée avec la survenue de cancers. Par exemple, deux articles publiés en 2013, ont mis en évidence que certaines espèces bactériennes du genre Fusobacterium étaient associées avec la survenue de cancer colorectal chez l’Homme (6) (7). Si la corrélation entre le genre bactérien et une pathologie a été mise en évidence chez l’Homme, c’est sur le rongeur que les mécanismes moléculaires ont été identifiés. Ces travaux ont ainsi démontré que les espèces du genre bactérien Fusobacterium étaient capables de générer un environnement pro-inflammatoire dans la muqueuse intestinale, environnement propice au développement de cancers. Ces résultats laissent penser qu’il suffirait de détecter ce genre bactérien pour identifier des personnes à risque de développer un cancer et de l’éradiquer pour prévenir la maladie. Cependant, le microbiote est un véritable écosystème complexe et il est fort probable que plusieurs autres bactéries soient impliquées. De ce fait, l’analyse globale du microbiote pourrait être une méthode plus fiable afin de dépister certains cancers. En 2014, une équipe de recherche franco-allemande a montré que l’analyse du microbiote intestinal chez l’Homme pouvait compléter l’analyse du sang occulte dans les selles et ainsi améliorer la détection de lésions précancéreuses et cancéreuses du côlon (8).

Si le microbiote intestinal semble impliqué dans la carcinogénèse, il pourrait également moduler l’activité anti-tumorale des traitements anticancéreux. En effet, les bactéries intestinales sont capables de transformer des composés présents dans le régime alimentaire, les acides biliaires, le mucus et plus généralement presque tout ce qui se trouve dans leur environnement. Il est donc envisageable que le microbiote puisse avoir une action directe sur les médicaments anticancéreux en les métabolisant. C’est par exemple le cas de l’Irinotécan, une chimiothérapie utilisée dans le traitement du cancer colorectal. Cette chimiothérapie est métabolisée en un composé inactif par le foie et éliminée par le tractus digestif. Or, Wallace et al. ont montré en 2010, qu’une fois dans la lumière intestinale, ce composé inactif pouvait être à nouveau métabolisé par les bactéries intestinales et transformé en un autre composé cytotoxique (9). Ce composé induit une forte toxicité cellulaire au niveau intestinal à l’origine de diarrhées sévères qui imposent souvent l’arrêt du traitement. A travers cet exemple et aux vues de la multitude d’enzymes codées par le génome bactérien, on peut penser que l’activité métabolique du microbiote puisse moduler l’efficacité de d’autres traitements anticancéreux.

Enfin, comment ne pas évoquer l’impact du microbiote intestinal sur l’activité du système immunitaire et donc sur l’immunité anticancéreuse ?  L’importance fondamentale des microorganismes dans le développement et la maturation du système immunitaire n’est plus à démontrer (1). Mais qu’en est-il de leur rôle sur l’immunité anticancéreuse ? Plusieurs travaux ont montré que la composition du microbiote intestinal et la translocation de certaines bactéries de la lumière de l’intestin vers l’organisme pouvaient influencer la capacité du système immunitaire à combattre la tumeur (10; 11; 12). Ainsi, dans des modèles animaux, certaines traitements anticancéreux seraient capables d’altérer la barrière intestinale et d’induire le passage de bactéries commensales de la lumière du tube digestif vers les tissus. Ces bactéries stimuleraient alors le système immunitaire ce qui favoriseraient l’élimination des cellules tumorales par celui-ci. Par ailleurs, en 2015, deux articles publiés dans la prestigieuse revue Science ont également montré que la composition du microbiote intestinal pouvait influencer l’activité anticancéreuse des anticorps anti-CTLA4 et anti-PL-1, ces inhibiteurs de points de contrôle immunitaire (13; 14). Très récemment, une autre étude conduite chez l’Homme a montré que l’utilisation d’un traitement antibiotique pourrait moduler l’activité des immunothérapies anti-PD-1 ou anti-PD-L1 (15). En effet, les auteurs ont comparé deux groupes de patients atteints de cancer rénaux, pulmonaires et urothéliaux traités par immunothérapie anti-PD-1 ou anti-PD-L1. Dans un des deux groupes, les patients ont été traités par antibiothérapie peu de temps avant, pendant ou peu de temps après le traitement anticancéreux. Les auteurs de l’étude ont ainsi constaté que les patients traités par antibiothérapie avaient une survie sans progression et une survie globale diminuée comparativement aux patients non traités. Les auteurs de l’étude ont ensuite confirmé dans un modèle murin que les modifications du microbiote induites par le traitement antibiotique étaient bien à l’origine de la modulation de l’efficacité des immunothérapies. Deux autres articles parus dans le même numéro de la revue Science ont également montré l’impact du microbiote sur la réponse aux traitements anti-PD-1 (16; 17). Néanmoins, ces données sont encore préliminaires et il est trop tôt pour en tirer des conclusions formelles. Un essai clinique de phase I en cours à l’heure actuelle pourra peut-être apporter des éléments de réponse à ces questions. En effet, une équipe Israélienne a entrepris d’implanter le microbiote contenu dans l’intestin de patients atteints d’un mélanome et bon répondeur aux immunothérapies dans celui de patients non répondeurs atteints de ce même cancer (NCT03353402). Bien que cette étude ait pour objectif principal d’évaluer l’innocuité et l’efficacité de la procédure de transfert de microbiote, la modulation de l’activité du système immunitaire sera également mesurée. Ces données permettront peut-être de préciser le rôle du microbiote sur l’activité des immunothérapies chez des patients atteints d’un mélanome.

 

Aujourd’hui la recherche sur le microbiote n’en est qu’à ses balbutiements et le transfert des données fondamentales à la clinique nécessitera encore quelques années. A l’avenir, le microbiote pourrait devenir à la fois un biomarqueur, une cible thérapeutique potentielle ou même un médicament prometteur. D’ailleurs, les premiers essais cliniques visant à moduler le microbiote sont déjà en cours en oncologie (18).

 

Simon NICOLAS, PhD

Références

  1. Sommer F. & Backhed F. The gut microbiota-masters of host development and physiology. Nature reviews Microbiology, 2013.
  2. Serino M., Chabo C., & Burcelin R. Intestinal MicrobiOMICS to define health and disease in human and mice. Current pharmaceutical biotechnology, 2012.
  3. Pedersen et al The Human Intestinal Microbiome in Health and Disease : The new england journal of medicine, 2016.
  4. https://www.biocodexmicrobiotainstitute.com/les-microbiotes. consulté pour la dernière fois en avril 2018.
  5. Gopalakrishnan Vancheswaran, et al The Influence of the Gut Microbiome on Cancer, Immunity, and Cancer Immunotherapy. Cancer cell, 2018.
  6. Rubinstein Mara Roxana, et al Fusobacterium nucleatum promotes colorectal carcinogenesis by modulating E-cadherin/β-catenin signaling via its FadA adhesin. Cell Host Microbe, 2013.
  7. Kostic Aleksandar D. et al Fusobacterium nucleatum potentiates intestinal tumorigenesis and modulates the tumor immune microenvironment. Cell Host Microbe, 2013.
  8. Zeller Georg, Tap Julien , Voigt Anita Y. et al Potential of fecal microbiota for early‐stage detection of colorectal cancer. Molecular Systems Biology, 2014.
  9. Wallace Bret D. et al Alleviating Cancer Drug Toxicity by Inhibiting a Bacterial Enzyme. Science, 2010.
  10. Iida N. et al Commensal bacteria control cancer response to therapy by modulating the tumor microenvironment . Science, 2013.
  11. Paulos C.M. et al Microbial translocation augments the function of adoptively transferred self/tumor-specific CD8+ T cells via TLR4 signaling. Journal of Clinical Investigation, 2007.
  12. VIaud S. et al, The Intestinal Microbiota Modulates the Anticancer Immune Effects of Cyclophosphamide, Science, 2013
  13. Vetizou M. et al Anticancer immunotherapy by CTLA-4 blockade relies on the gut microbiota. Science, 2015.
  14. Sivan A. et al Commensal Bifidobacterium promotes antitumor immunity and facilitates anti-PD-L1 efficacy. Science, 2015.
  15. Routy B. et al Gut microbiome influences efficacy of PD-1-based immunotherapy against epithelial tumors . Science, 2018.
  16. Gopalakrishnan V. et al Gut microbiome modulates response to anti-PD-1 immunotherapy in melanoma patients. Science, 2018.
  17. Matson, V. et al The commensal microbiome is associated with anti-PD-1 efficacy in metastatic melanoma patients. Science, 2018.
  18. https://clinicaltrials.gov. NCT02843425, NCT02079662, NCT0335851, NCT02928523, NCT03353402 entre autres
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