Avec l’arrivée des thérapies moléculaires ciblées, il a été espéré, et écrit que les traitements des cancers allaient être profondément modifiés. Au lieu de traiter un cancer en fonction de sa localisation et de son histologie, on allait bientôt traiter un cancer en fonction d’une altération moléculaire précise au niveau de la cellule cancéreuse, ceci indépendamment de sa localisation. Ces altérations se produisent au niveau génomique (mutations, amplifications, ou translocations) mais aussi au niveau épigénomique*. Cette approche a conduit à extrapoler les indications de certaines thérapies moléculaires ciblées, tantôt avec succès (trastuzumab dans les carcinomes oesogastriques HER2+, par analogie avec les cancers du sein HER2+), mais a aussi conduit à certaines déceptions (le vemurafenib, actif dans les mélanomes BRAFV600 mutés, n’a pas d’activité significative dans les cancers colorectaux portant la même altération moléculaire).
Deux études françaises publiées dans Lancet Oncology, l’étude SAPHIR01 et l’étude SHIVA viennent chacune à leur manière de nous faire progresser sur l’utilisation des thérapies moléculaires ciblées.
L’étude SAFIR01, menée chez des patientes avec un cancer du sein métastatique, avait pour but principal de déterminer le pourcentage de patientes susceptibles de bénéficier d’une thérapie moléculaire ciblée après génotypage tumoral.
L’étude SHIVA était menée chez des patients qui sont traités par une thérapie moléculaire ciblée en fonction d’une altération moléculaire, et non en fonction de leur localisation tumorale. Dans cette étude, le temps moyen de survie sans progression d’un groupe de patients traités par une thérapie moléculaire ciblée était comparé au temps moyen de survie sans progression d’un groupe contrôle traité par le meilleur traitement standard choisi par l’oncologue.
Ces deux études ont plusieurs points communs. Le premier est la faisabilité, et notamment la rapidité d’inclusion des patients dans ces essais, ce qui démontre l’ardent besoin de nouvelles thérapies chez des patients souvent en échec thérapeutique. Le second est le résultat plutôt décevant de ces études. Dans l’étude SAFIR01 ou il était prévu de pouvoir traiter 30 % des patients avec une thérapie ciblée, seuls 13 % ont pu l’être. Bien que l’efficacité n’ait pas été l’objectif principal de cette étude, il ressort qu’une réponse partielle n’a été observée que chez 9 % des patientes. Dans l’étude SHIVA, le temps moyen de survie sans progression n’était pas supérieur dans le groupe de patients traités par thérapie ciblée par rapport au groupe témoin. Alors échec ? Certainement pas. Ces deux essais sont pleins d’enseignements et ouvrent de nouvelles voies. Ils nous rappellent qu’une cellule tumorale utilise plusieurs voies moléculaires pour se multiplier et migrer.
Cibler une seule altération moléculaire et une seule voie n’aura souvent qu’un effet limité. De plus, l’essai SHIVA démontre qu’une altération moléculaire propre à une cellule cancéreuse doit bien être analysée en fonction de la nature de la cellule et de sa localisation. En d’autres termes, la même altération moléculaire dans des cellules de deux organes différents n’a pas la même signification. Enfin, ces deux essais nous rappellent qu’une tumeur est très hétérogène et que cibler une seule altération touchera certains clones cellulaires, mais ne touchera certainement pas tous les clones.
Devant ces réalités, il y a de nombreuses solutions, la première étant la combinaison de plusieurs thérapies moléculaires ciblées, à l’instar de ce qui est fait vec le blocage de BRAF et MEK dans les mélanomes BRAF mutés , ou en immunothérapie où une première combinaison de deux inhibiteurs de points de contrôle vient d’être approuvée par la FDA pour le traitement de mélanomes métastatiques. La seconde est l’utilisation de nouvelles thérapies ciblant des altérations moléculaires bloquant des voies nouvelles. La troisième est la définition de meilleurs algorithmes pour sélectionner les patients susceptibles de bénéficier de thérapies ciblées.
Les résultats de l’étude MOSCATO (NCT01566019), très attendus, devraient permettre d’affiner notre approche sur l’utilisation raisonnée des thérapies moléculaires ciblées en fonction du génotypage tumoral.
Dr Olivier Mir
Références :
1. André F. et al. Comparative genomic hybridisation array and DNAsequencing to direct treatment of metastatic breast cancer: a multicentre, prospective trial (SAFIR01/UNICANCER). Lancet Oncol 2014; 15: 267-74.
2. Le Tourneau C. et al. Molecularly targeted therapy based on tumour molecular profiling versus conventional therapy for advanced cancer(SHIVA): a multicentre, open-label, proof-of-concept,randomised, controlled phase 2 trial. Lancet Oncol 2015; 16: 1324-34.
3. Bang YJ, et al. Trastuzumab in combination with chemotherapy versus chemotherapy alone for treatment of HER2-positive advanced gastric orgastro-oesophageal junction cancer (ToGA): a phase 3, open-label, randomized controlled trial. Lancet 2010;376:687-97.
4. Prahallad A, et al. Unresponsiveness of colon cancer to BRAF(V600E) inhibition through feedback activation of EGFR. Nature 2012; 483:100-
*L’épigénomique (epi = au dessus…de la génomique) rassemble l’ensemble des mécanismes qui transforment l’information contenue au niveau du génome d’une cellule en caractères observables de cette cellule (son phénotype) : Alors que les 100 000 milliards de cellules de notre organisme ont initialement le même génome composé de 23 000 gènes, les mécanismes épigénétiques vont sélectionner environ la moitié de ces gènes pour réaliser le programme spécifique d’une cellule, programme qui en fera une cellule nerveuse, musculaire, pancréatique..